La fleur de lait, un concentré d’onctuosité
À ne pas confondre avec la fior di latte italienne, la fleur de lait normande est un concentré de peau de lait, riche en protéines et en matières grasses, à valoriser dans des glaces, des crèmes ou des gâteaux.
Délice pour les uns, objet d’aversion pour les autres : la “peau de lait”, cette pellicule qui se forme à la surface du lait (idéalement cru) porté à frémissement, ne laisse personne indifférent. Il s’agit en fait d’un concentré de protéines et de matières grasses ; un produit laitier donc, très loin d’être un déchet.
Faisant confiance à leur bon sens paysan, nos aïeux ne s’y sont pas trompés. Dans les recettes d’antan, ils la récupéraient pour la revaloriser dans des gâteaux et des desserts au moelleux incomparable.
Cette tradition culinaire s’est perdue avec les années. Elle fait toutefois figure de madeleine de Proust pour de nombreux chefs, à l’instar du cuisinier Michel Bras dont la mère tartinait cette peau de lait sur du pain. Un ingrédient vertueux mais fastidieux à obtenir en quantité.
En poches sous vide de 400 g
Éleveur laitier normand (Gaec du Triskel), Guillaume Bouleau produit du lait labellisé Bleu-Blanc-Cœur dont il transforme depuis 2018 une partie en yaourts, crèmes et fromages blancs, distribués sous la marque Fleurs de ferme auprès de professionnels de la restauration et de l’hôtellerie.
Après un échange avec un chef sur le yuba — la peau de lait de soja, populaire en Asie —, il entreprend de remettre la peau de lait de ses vaches au goût du jour. Il profite d’un arrêt de son atelier de transformation, impacté par les augmentations du coût de l’énergie et des emballages, en 2023 pour mettre au point son produit.
« Le lait est thermisé à 60-62 °C, puis refroidi, et on écume le film qui s’est formé à sa surface : comme un paludier dans un marais, d’où son nom de fleur de lait, clin d’œil à la fleur de sel. Elle est ensuite directement conditionnée en poches sous vide de quatre cents grammes — prix : 9,4 euros hors taxes —, avec une date limite de consommation de vingt-et-un jours. Il faut cent litres de lait pour obtenir un kilo de fleur de lait », note l’éleveur.
Fleur de lait : un concentré de saveurs lactiques
Le résultat est inclassable, tant en termes de texture que de goût : « C’est plus épais que de la crème, mais moins gras que du beurre. Cela peut évoquer du mascarpone assorti de saveurs lactiques très prononcées », observe Max Martin, le chef pâtissier du restaurant du Pré Catelan, à Paris (16e arr.), à qui la fleur de lait rappelle le lait bouilli de son enfance. Attention cependant à ne pas trop la chauffer pour lui éviter « de trancher et de se déstructurer », prévient le pâtissier, qui l’a incorporée brute (dosée à 400 g pour 1,9 kg de masse) dans une préparation pour crème glacée à la vanille à 35-40 °C. À la clé : un supplément de tenue, d’onctuosité et de puissance lactique en bouche.
Dans le même esprit, la fleur de lait peut être travaillée dans des crèmes (mousseline, montée), auxquelles elle apporte profondeur et densité. Intégrée dans un appareil, en substitut (partiel) au beurre par exemple, elle permet de dégraisser et même de désucrer une pâte, « grâce au lactose du lait », pointe Guillaume Bouleau qui a remporté une médaille d’argent au concours culinaire international de Lyon en 2023 pour son innovation.